Mardi 8 octobre, premier réveil américain dans un portaledge au côté de Liv avec Marion et Fabien à l’étage du dessus. Nous sommes dans un magnifique océan granitique vidé de tous ses grimpeurs. Pfff, qui a dit que Zodiac était surfréquentée en octobre, z’y connaissent rien !!!
Nous sommes partis pour quelques jours intenses…et nous revenons d’ailleurs aussi de quelques jours assez denses.
Ahh oui, j’oubliais de vous évoquer un détail, cette ambiance magique nous la devons, entre autres, au government shutdown(gel d’une partie des administrations américaines pour cause de désaccord budgétaire au sujet des dépenses sociales) qui a fermé les parcs nationaux le lendemain de notre arrivée à El Portal (entrée du Yosémite).Un de ces évènements complètement improbables qui vous densifient l’atmosphère, vous démontent un peu la tête et vous demandent d’abattre les obstacles au jour le jour. Genre recevoir un bloc de neige dans le dos mais en 1000000….fois moins grave. Avec l’entraînement acquis lors de ma rééducation, je suis restée assez stoïque donc à l’annonce de la nouvelle avec quand même du désenchantement. Heureusement, j’ai senti beaucoup de force en Marion et Liv. Nous avons toutes essayé de rester au plus proche du rationnel, pour pouvoir avancer au fur et à mesure dans le long (bon d’accord, juste 1 semaine au final, j’exagère peut-être un peu) chemin de prise de décision.
Mardi 1 octobre, nous prenons notre méga hypra grosse voiture américaine (il nous fallait bien ça pour emmener de quoi manger…et grimper aussi) pour aller prendre la température du parc. A l’entrée, les voitures devant nous ont l’air de passer et nous aussi, whouaaaa, première petite victoire. En cadeau bonus, pas d’entrée de parc à payer ! Je vous avoue que c’est quand même avec le cœur un peu pincé que nous allons admirer la face d’El Capitan qui nous touche immanquablement (nous sommes grimpeuses quand même). Une visite à l’ambiance en demi-teinte à Camp 4, toujours partagées entre la joie de fouler le sol de ce campement mythique et l’incongruité de la situation, va nous permettre de rencontrer Ben qui va nous encourager à poursuivre notre projet de façon la plus discrète possible…Toutes les 3 avons vraiment savouré la bouffée d’optimisme que nous ont données ses paroles.
Nous avons profité du temps « qui nous était donné en plus » pour nous reposer, bouquiner, étudier un peu plus cette fichue politique américaine (évidemment, nous pensions aussi à tous ces fonctionnaires qui se retrouvent sans salaires du jour au lendemain, complètement surréaliste pour nous).
Le lendemain, nous sommes quand même aller chercher du réconfort en ville (3 filles ensemble, ben ça fait du shopping, non !! On adore les clichés), un peu de route et un bon repas healthy food ça change les idées. Et là encore, on a bien fait, car de cette façon nous avons retardé le mauvais passage où le ranger assez tendu vous intime de façon assez brève de faire demi-tour…gloups ! Personne ne bronche dans la voiture, on reprend la direction de l’hôtel, on donne des news sur FB, ça nous permet de tenir nos supporters au courant et en même temps de recevoir beaucoup de soutien en retour. Encore ça de gagner, merci à vous !
Le lendemain, Marion et Liv ont décidé d’aller voir s’il y avait de quoi grimper aux alentours. Moi, je décide de rester à l’hôtel et d’en profiter pour me reposer, écouter de la bonne musique pour m’évader un peu de ce monde de brutes ! Au retour des copines, on se fait un petit brain storming style : au pire quel sponsor nous suivrait l’année prochaine, est-ce qu’on demande aux garçons de changer leur date d’arrivée en attendant de voir l’évolution de la situation, que mange t’on ce soir (non, pour ça pas de soucis !!!c’est salade avec du chocolat bien noir en dessert). De toute façon, notre temps de réflexion se fait rattraper par le décalage horaire et nous n’avons plus le temps de voir avec les garçons s’ils ont la possibilité de décaler leur voyage. Et encore un petit pas de plus dans la prise de décision. En signant pour une belle escalade sur du beau granit, aucune d’entre nous n’avait pensé que nous allions devoir nous mettre dans l’ état d’esprit d’une expé hymalayenne…attente sans aucune certitude jamais.
Vendredi 4 octobre, Nico P et H, Victor, Fabien arrivent dans l’après-midi.
Nous leur donnons un peu la température. Victor, Nico P et moi décidons de faire une incursion dans le parc. Evidemment, j’ai peur de voir la porte fermée…ouf, nous passons. C’est déjà mieux qu’avant-hier ! Les garçons qui n’ont pas encore ressenti le poids de cette atmosphère en sont tout à leur joie de découvrir leur parois tant aimées et avides d’y poser les chaussons, décident (à mon grand étonnement, ben oui j’ai un peu peur du ranger) de grimper le lendemain.
Au retour, préparation des sacs et départ le lendemain pour toute l’équipe sauf Liv (qui fera la navette voiture car il ne faut pas laisser la voiture dans le parc) et moi. Pour laisser passer cette longue journée d’attente, nous allons manger en ville, faire des courses, acheter les p’tits trucs préférés de chacun pour se mettre un peu de baume au cœur (Liv se met la mission pour the truc pour chacun). Moi, je n’arrive pas à la suivre sur mes roues hé puis y’a plein de trucs intriguant dans ces supermarchés.
Un peu inquiète, j’attends le retour des grimpeurs que Liv est partie récupérer à 17H jusque 20h. Ils m’annoncent 6 longueurs fixées, portage des sacs demain et après, c’est parti. A ce moment, je commence à y croire vraiment, s’ils ont pu faire ça sans se faire attraper, en tout cas, je garde en moi l’élan de cette annonce !
En fait, je commence à avoir besoin de bouger quand même, hé, j’ai tenu presque une semaine quand même, hein ! Les amis m’installent donc de quoi faire travailler mes biscottos, ces exercices me permettent aussi d’effacer la douleur qui s’installe lorsque je reste trop longtemps dans la même position dans mon fauteuil.
Samedi 5 octobre au soir, tout est prêt pour y aller mais l’équipe a bien bossé et décide de prendre du repos le lendemain. Dommage, évidemment, je les comprends, je ne suis pas à un jour près. Je sens que le doute commence à s’installer sérieusement chez Nicolas (par rapport aux secours, sa responsabilité de guide..). Je décide de laisser passer la nuit. Le lendemain, ses doutes grandissent encore. Nous en discutons tous ensemble calmement, en posant tranquillement les arguments de chacun. Nous décidons de laisser 24h à Nico pour prendre sa décision. Le lendemain matin, un changement de prévision météo va tout accélérer, si nous voulons être dans les parties de la voie à l’abri de la pluie les jours de mauvais, c’est aujourd’hui qu’il faut partir.
Nicolas décide de ne pas nous suivre, il nous aidera pour aller au pied et pour la redescente avec Victor et Nico (cameraman). Vu les circonstances, c’était rassurant pour nous d’avoir une équipe qui nous suivait.
Allez hop, 1 gars, 3 filles et une très belle histoire à inscrire.
Grâce à l’aide de Julien (grimpeur rencontré sur place) qui me porte en alternance avec super Marion et méga Fabien, nous arrivons très vite au pied de la paroi.
A l’ombre, j’attends mon tour, j’avoue je n’en mène pas large et en même temps je sens que ce qui se passe est énorme, gonflé de puissance, de générosité. Allez, c’est à mon tour, c’est très fébrilement que je mets en place mon système sur la corde fixe avec Liv attentive et que je sens fébrile aussi.
Première, 2ième traction, c’est parti, timidement mais ça y est….heu l’ambiance est à l’efficacité pas encore à la franche rigolade.
Et c’est bien émue et fatiguée que j’arrive en haut de la 2ième longueur pour y passer la nuit sur le portaledge.
Lendemain matin, café, granola et hop c’est parti….en fait, ca nous prend 2 heures pour être fin prêtes à nous lancer dans le vide. Là, je suis vraiment dedans, je me sens assez loin du sol et des moments de doutes, je peux me laisser aller au seul plaisir d’être dans cette face superbe avec une cordée de rêve, si si. Comme c’est bon de goûter à la verticale tout en beauté !!
Marion, Fabien et Liv vont se donner à fond du début à la fin et dans une ambiance sereine, très dense. Je crois que chacun sentais que nous vivions un moment rare (ils ne savent pas encore que l’année prochaine, je la refais…non je rigole, c’est de la résilience pas de l’esclavage !).
Nous allons donc passer 5 jours en paroi, pas un moment de tension entre nous malgré tous les problèmes rencontrés (style quand y’en a plus et ben on en trouve un mieux et jusqu’à la dernière longueur !) : multitude de nœuds entre 2 cordes de la même couleur, perte d’un tube de portaledge au dernier relai….Marion qui vole, se retrouve un trou dans le coude et une brulure à l’entre-jambes et qui continue sa longueur malgré tout. Je me suis rappelé que je faisais pareil lorsque je volais et qu’il fallait terminer la longueur. Marion a vraiment multiplié des trésors d’intelligence pour trouver les bidouilles afin d’ arriver au bout de ces longueurs d’artif pas si facile…elle a aussi déployé la canne à pêche qui permet d’aller clipper les points au loin.
Fabien a bien sûr été élu notre super héros, il s’est donné pendant 3 heures dans la longueur clef et s’y est pris un vol avec une blessure au doigt. Il nous a confié que l’idée de buter ne l’avait jamais effleuré. Quand je vous disais que mes compagnons avait tous un mental de ouf !!
Liv et moi arrêtions de grimper vers 17/18H tandis que Marion et Fabien continuait souvent après la tombée de la nuit.
C’était trop bon les nuits en portaledge. Faut dire que grâce à la persévérance de Liv, tout était nickel installé. Y’a bien une nuit où une vire nous a empêché de le mettre de niveau et évidemment c’est cette nuit qu’il a plu un peu et que nous avons dû mettre le fly. Je ne peux vous expliquer la manœuvre mais juste vous dire que j’ai eu l’impression de devoir tout donner juste pour ça…
Une autre nuit où j’ai réveillé Liv vers 23h pour qu’elle me chauffe de l’eau car j’avais besoin de me réchauffer. Le lendemain, les sommets étaient recouverts de neige, tu m’étonnes que j’avais eu froid ! Ce jour-là, ma mission a été de ne pas tomber en hypothermie, la recette =me glisser dans le duvet à chaque relai et bouger pendant que les autres bossaient à fond.
Tout ça dans une ambiance toujours bienveillante. Je ne me suis jamais senti handicapée lors de cette ascension, je faisais mon maximum et les autres ne m’en demandaient pas plus. L’accessibilité et l’autonomie au top !
Vendredi 11 octobre, voilà déjà les dernières longueurs…je n’ai pas envie de terminer l’ultime. J’y vais lentement et essaye de me remplir de toutes mes perceptions au maximum, de ralentir le temps.
Je vais quand même rejoindre Marion, Fabien, Nico et Victor. Bientôt Liv nous rejoint. Pas vraiment d’explosion de joie au sommet (reste la descente à gérer), j’ai plutôt ressenti une ambiance de recueillement, de calme. Evidemment, il y a de la fatigue aussi.
Nous mangeons et passons la nuit au sommet. J’en profite pour me remplir de ce panorama. Je sais que c’est un moment rare.
Nous avons vécu la descente comme un cadeau, on se voyait y passer la journée. Grâce à l’aide de Mika, Cyril (venus nous rejoindre au sommet le 12 octobre au matin) et Niels (un américain hypra costaud et qui connaît par cœur chaque caillou de la descente d’El Cap), elle ne nous a pris que 4 heures et sans une égratignure !!
Il y avait une de ces lumières d’automne dans la forêt à la fin. Vraiment majeur ! A notre arrivée sur le parking, nous avons apprécié la quiétude du parc un jour de shutdown.
C’était tellement beau cette route par une si belle journée d’automne…mais elle me ramenait également vers mon fauteuil resté à l’hôtel. J’ai senti gonflé en moi une vague de tristesse lorsque Nicolas me l’a présenté. Evidemment, je m’y suis assise et j’ai poussé les roues d’abord lentement. Mais avec l’énorme cadeau que je venais de recevoir, j’ai trouvé la force de ne pas pleurer plus longtemps et d’aller prendre une bonne bière avec toute l’équipe !!
J’ai vraiment eu la sensation d’avoir vécu là un moment rare, intense qui va me nourrir pendant un bon moment. Toute l’énergie déployée par mes compagnons de cordée est bien emmagasinée au plus profond de moi. Elle et celle de toutes les rencontres que ce projet nous a permis de faire.
J’aime lorsque je ressens l’incarnation d’un mot. Là, j’ai vraiment ressenti au plus profond de moi-même ce que signifiait SOLIDARITE et de rendre au centuple ce que je venais de recevoir.
Je vais m’arrêter là pour l’instant, sinon je vais finir par vous ennuyer ou écrire un livre !!
Un grand merci à tous nos partenaires, tous vos messages reçus pendant l’attente.
Tout ça était un réel moment de partage.
Merci à Jenny et Guillaume (un couple d’amis profondément libres et humains) qui ont déposé sur la table de chevet de ma chambre de rééducation le livre de Steph Davis où on la voyait grimper El Cap avec une amie paraplégique….
Un petit clin d’oeil aussi aux livres et musique qui m’ont accompagnée :
Et comme par magie, un petit cadeau de l’auteur.
« Marion, Fabien et Liv vont se donner à fond du début à la fin et dans une ambiance sereine, très dense. Je crois que chacun sentais que nous vivions un moment rare »
C’est tout à fait ça : une sensation déjà vécue avec Nat lors des tractages sur les 4000m de Saas-fee!
Superbe et je compte sur toi pour continuer à vivre tes rêves façon XXL!
Je crois que je essayer de continuer sur ce chemin en effet, c’est tellement enrichissant!! Merci!
Coucou
Même si ton équipe était très forte à tous les niveaux, il fallait OSER se balancer dans cette immense paroi où tu as joué la plupart du temps à l’araignée loin de la paroi donc livrée à toi-même et à ton matos.
La barrière psychologique que tu as du franchir pour cet engagement hors du commun sans parler du physique est exceptionnelle.
Tout cela te servira toute ta vie pour ne pas te faire enfermer par cet handicap lourd.
Cela a été mon chemin également au travers le ski assis, l’aviation de montagne, le marathon, le parapente et dernièrement la navigation hauturière. Cela m’a permis d’abord de mieux me réparer intérieurement et de mieux appréhender mon futur d’homme handicapé.
Je suis sincèrement touché par ce beau récit et cette aventure humaine +++++++++.
Yves
Super article! Un grand bravo Vaness’ et a toute ton equipe, vous etes des machines!! Vite on attend le film avec impatience!!!
Meri Yves…rien à ajouter!!
A très bientôt!
Bravo les filles et les mecs aussi!
J’espère que votre aventure donnera des idées à tous le monde, et donnera envie aux gens de réaliser des projets, à l’autre bout du monde ou à leur porte.
Une leçon pour les personnes handicapés mais aussi aux valides trop souvent enfermés dans leur bulle.
Chacun peut trouver son ascension, personnelle, mais aussi partagée.
Nous avons vécu un moment fort avec votre aventure, et j’espère que l’on se croisera à l’automne prochain dans le 31.
Pleines de bonnes choses à toute l’équipe.
Merci Pascal, j’espère aussi que l’on aura l’occasion de se croiser!! Bonne fin d’année!!
je vien de decouvrir seulement au jour d’hui que vous avez reussi à réaliser cette merveilleuse aventure!
bravo à toi et à l’equipe extraordinaire qu’ a partagé avec toi ces moments magiques.
quand j’ai regardé la paroi de El Capitan en 2012 j’ai eu un frisson dans le dos et j’ai pensé a toi et à ton projet.
un gros gros bisou et 1000 encore d’aventure comme celle-ci!!